Tout d’abord, sans présager des controverses idéelles que nous ne manquerons de nous répartir, je vous sais gré d’avoir su placer ce débat sur Madagascar et ses perspectives dans un espace où il devient moins vain et plutôt vivifiant de s’y associer… Cet espace que vous avez ouvert et dans lequel je m’invite volontiers, je vous propose de l’enrichir d’autres réflexions qui m’ont été transmises consécutivement à l’entretien que j’ai eu avec Denise Époté retransmis sur TV5 Monde le 21 février 2010. Parmi celles-ci je vous soumets la réaction de Hyacinthe Befeno Todimanana, dont certaines idées peuvent croiser les vôtres, chacun se référant évidemment à ses propres « humanismes » et représentations, ses intimes senseurs et censeurs…
Au regard
– de la profusion de remarques et de la densité des interrogations contenues dans votre première « saillie »,
– de l’invitation à nous départir des simples formules qui ne traiteraient que superficiellement les sujets que nous aurons à aborder
– et du suivi d’échanges que, je l’espère, nous ne manquerons pas d’entretenir,
je vous soumets une sorte de subdivision – somme toute subjective – des thématiques que vous avez abordées… Ce subterfuge, je vous l’avoue, m’évite aussi de me lancer dans la laborieuse et absconse componction d’un « traité » qui serait à la fois rébarbative et chronophage…
Le premier échange que je vous propose est relatif à vos questionnements quant à la problématique électorale dont l’esquisse repose effectivement sur un changement de paradigme avec l’inversion de la séquence législatives – présidentielles qui n’est qu’un des éléments pour lesquels la communication audio-visuelle m’a été plus aisée puisqu’elle concorde avec les prises de position qui font actuellement débat. Je commencerai juste par une critique circonstanciée de l’élection du Chef de l’État – avec les prérogatives constitutionnelles et le pouvoir réel dont celui-ci dispose dans l’histoire de Madagascar – au SUFFRAGE UNIVERSEL UNINOMINAL DIRECT À DEUX TOURS comme principale référence-socle des institutions et de la vie « démocratique » du pays. Dans un prochain échange je m’aventurerai à vous proposer un autre modèle électoral qui tente une modification en profondeur du paradigme démocratique : les « élections liées » qui ne favoriseraient en rien tous les « improvisateurs » opportuns de la vie publique et qui tourneraient définitivement le dos à la politique sans projet, sans organisation, sans préparation, sans dessein… collectifs…Mais j’y reviendrai.
À ce propos, et répondant en partie aux remarques de Hyacinthe Befeno Todimanana, ma prise de position privilégiant des élections législatives dans un premier temps n’est en rien un soutènement à celle de Andry Rajoelina, même si elle est radicalement opposée aux propositions et positions des mouvances des 3 anciens chefs de l’État… qui eux, et cela se comprend, considère l’élection présidentielle comme la seule référence démocratique qui vaille… Rappelons pour la clarté de nos échanges que ce qui s’oppose aux uns n’est pas obligatoirement un soutien à l’autre…
Mais au-delà de cet « aparté », le point essentiel de mon propos ne réside pas simplement sur cette inversion du calendrier, mais plus fondamentalement un réquisitoire à l’encontre du mode d’élection même du Chef de l’État et l’exécutif à Madagascar comme dans de nombreux pays du tiers-monde, y compris ceux qui ne furent pas des colonies françaises.
Je suis en effet un opposant résolu – en France, à Madagascar ou ailleurs – au sens porté et aux dérives putatives de l’élection du Chef de l’État ou du Chef de l’exécutif – et plus encore lorsque les prérogatives des deux fonctions peuvent procéder d’une seule personne – au SUFFRAGE UNIVERSEL UNINOMINAL DIRECT À DEUX TOURS.
Il est à remarquer d’emblée que ce système n’est appliqué, hormis en France – et ce, sous Napoléon III et depuis 1962 sous la 5ème République, dans strictement aucune autre nation de grande (au sens ancienne) tradition démocratique !!! En Europe occidentale, seules la République d’Irlande (née en 1949) et la République du Portugal (depuis… 1974) usent de ce mode de scrutin… avec de surcroît des pouvoirs bien moins étendus que ceux du Président de la République française.
Depuis 1964, les dispositions électorales utilisées – dans les consultations nationales – à Madagascar ont toutes été passablement inspirées de ce modèle imprimé par la 5ème République française, depuis le référendum de 1962, (hormis les dispositions introduisant une dose de proportionnelle dans les élections locales – municipales et régionales depuis les premières lois Deferre sur la décentralisation de 1982).
Ce modèle installe comme référence de l’exercice démocratique le suffrage universel direct uninominal à deux tours – en particulier pour l’élection du Président de la République – tel que l’a voulu le Général de Gaulle… en plein conflit interne avec l’OAS, au service de sa conception très personnelle du rapport entre le chef de l’État et du « Peuple »… Ce mode de scrutin s’est d’ailleurs – malheuresement – imposé à toutes les anciennes colonies françaises comme habitude électoral mais aussi comme référence dominante de l’exercice démocratique.
Force est de constater que ce modèle uninominal – pour lequel ont notamment opté les anciennes démocraties populaires du bloc de l’Est et les anciennes colonies anglo-saxonnes ou hispano-lusitaniennes à tendance ou histoire autocratiques – a tendance à générer ou faciliter
– contestations et fraudes des résultats électoraux ;
– personnalisation excessive de modes de gouvernement ;
– et surtout des instabilités institutionnelles et constitutionnelles générées par les réactions populaires contre « le monarque démocratique » que ce type d’élection semble consubstantiellement produire.
Le suffrage uninominal direct à deux tours désignant le Président de la République a historiquement favorisé l’accumulation de pouvoir entre les mains et la cristallisation de la vie politique autour d’un seul homme, fort d’être la seule personnalité nationale à bénéficier de l’onction directe du suffrage universel.
Corollairement, les « majorités » se sont systématiquement constituées en ralliement et en soutien, pour ne pas dire en venant « au secours de la victoire » du Président de la République nouvellement élu.
Ce fut le cas autour du PSD de Philibert Tsiranana – après les premières élections de 1965 où il a récolté 97% des suffrages, de l’AREMA de Didier Ratsiraka, puis dernièrement du TIM de Marc Ravalomanana qui ont neutralisé la possibilité d’existence d’une opposition institutionnalisée – de proposition et d’alternative – suffisamment sécurisée, pour ne pas être versatile et instable.
Le prolongement législatif de ce modèle électoral – à l’exception notable de la présidence Zafy Albert – a ainsi annihilé la capacité des parlementaires à pouvoir exercer leur fonction de législateur et de régulateur du gouvernement… comme et y compris en France d’ailleurs…
Chaque Parti présidentiel (PSD, AREMA puis TIM… et peut-être bientôt TGV) s’est mis alors à glisser, plus ou moins rapidement, dans une monopolisation syncrétique de tous les rouages de l’État et de la vie publique, avec toutes les dérives que cela a pu engendrer, mais surtout en déplaçant l’expression de l’opposition essentiellement sur le terrain de la fronde larvée, des entraves occultes et en dernier instance des manifestations de rue.
Les oppositions se sont ainsi progressivement exacerbées, avant de se cristalliser autour de contestations « populaires » (les récurrentes manifestations à la place du « 13 mai ») contre celui-là qui fut l’unique dépositaire Intuitu personæ de la vox populi.
En effet, ces contestations s’exercent le plus souvent par la mise en cause l’autorité et la légitimité directes du « monarque populaire » (de monos – « seul » et archos – « dirigeant »), requalifiable en « autocrate impopulaire », donnant prétexte à celui-ci de pratiquer des pouvoirs d’exception qui ouvrent la voie à des situations passablement extraconstitutionnelles.
Ces situations d’exception ont toujours fini par se retourner contre celui-là même qui les a décrétées et ont entraîné des prises de pouvoir de facto (1972, 1975, 1991, 2002 et… 2009) de nouvelles équipes – au-delà des dramatiques problématiques institutionnelles engendrées – souvent collectivement impréparées à exercer une gouvernance normative.
Ainsi ce mode d’élection du Président de la République favorise, paradoxalement, la personnalisation excessive des débats entre le pouvoir et le peuple, mais aussi le durcissement des rares délibérations démocratiques. Cette personnalisation draine d’ailleurs un mal atavique de la vie publique malgache : quand on vient à devoir choisir un seul homme (ou femme, un jour…) pour et sur l’ensemble du pays, celui-ci ne peut se départir de son origine ethnique, surtout lorsque le candidat ne se prive pas d’en user…
Sachant que l’élection est, comme son nom l’indique, uninominale, la vile rivalité entre littoraux et hauts-plateaux ressurgit immanquablement dans les arguments de campagne… puis de contestation ou de soutien à la gouvernance… du « monarque »…
En corollaire, ce mode électoral, se référant essentiellement à la légitimité d’un seul homme, aggrave surtout l’insécurité institutionnelle, l’incurie législative, l’inconstance réglementaire et, surtout, la désorganisation de l’État de Droit… Il devient visiblement aussi un dénominateur commun – sinon un facteur déterminant – des instabilités institutionnelles – consécutives ou concomitantes – à l’élection du Chef de l’État ou à des actes plébiscitaires de celui-ci : toutes les « alternances » ont été consécutives à des crises quasi-insurrectionnelles (1972, 1991, 2009), des controverses de « juridisme électoral » (1996, 2002) ou des « incidents » meurtriers (1975).
Car l’absence d’opposition organiquement « sécurisée » – sachant présenter une cohérence lisible et audible, pouvant exprimer une alternative crédible et fiable, osant disposer d’un rôle avéré dans la représentation institutionnelle – entraine ou oblige les « alternances » à se construire en marge des institutions, à s’imposer dans la manifestation ou l’insurrection et, surtout, à s’effectuer dans des conditions extraconstitutionnelles.
L’économique et le social s’en trouvent pris en otage par la récurrence des instabilités institutionnelles et les risques politiques… avec les conséquences que l’on connait quant à l’enlisement de Madagascar dans un sous-développement économique, social et… sociétal… sans parler des dépravations que commettent immanquablement ceux – la « cour » – qui accèdent au pouvoir en procédant d’un Président seul maître à bord – le « monarque » : aucun des Présidents, depuis Philibert Tsiranana, n’a pris le pouvoir avec une équipe préparée et asservie collectivement à l’exercice de la « chose publique »… On en est arrivé tout de même à des « recrutements » des ministres par voie de curriculum vitae, lorsque ce ne sont des improvisations de composition au gré des ralliements et des allégeances… a posteriori… Ce ne sont pas les derniers errements des gouvernements – en particulier des chefs de la diplomatie qui se sont succédés – qui augurent une amélioration de l’appréhension de la « chose publique » à Madagascar…
De plus, ce système électoral est non seulement le scrutin le plus facilement falsifiable, mais il est aussi celui qui génère les plus onéreuses dépenses de campagne… pour celui qui veut gagner, y compris en « achetant » le scrutin ou ses « contrôleurs », les votes ou leurs « dépositaires », les résultats ou les « juges » électoraux… Permettez-moi de ne pas m’étendre sur cet aspect car j’aurai à le développer lorsque je vous partagerai et étayerai la proposition d’un autre modèle d’exercice démocratique dont le nécessaire préalable est l’installation d’une première balance électorale « fiable » avant l’éventuelle modification institutionnelle qui instaurerait ce modèle : « les élections générales liées ».
Merde, je me suis encore lâché… et je recommence à être trop long…
En guise de première conclusion et de transition vers notre prochain échange, comme déjà souligné, la quasi-totalité des pays de grande tradition démocratique dispose de bien d’autres systèmes de représentation et de représentativité qui excluent la désignation de leur chef de l’État – lorsque celui-ci qui assure le pouvoir exécutif – ou leur chef de gouvernement par ce modèle de vote direct et uninominal à deux tours.