Le brouhaha actuel quant à «mettre ou ne pas mettre » un processus électoral en place pour la fin de l’année interpelle. Encore une fois, à se préoccuper de logiques électives avant de se préoccuper de logiques de gouvernance et de développement, on met la charrue avant les zébus et on fait perdurer avec entêtement un système dont on n’a plus à prouver la dimension mortifère ?
Ce brouhaha est d’autant plus absurde que, pour maintenir en place un système réputé inadapté, on mendie des subsides auprès de l’étranger pour organiser des élections dont on n’est pas capables de financer la logistique.
En sachant pertinemment que les dépenses qu’engageront certains candidats risquent d’être -si ils trouvent les financeurs capables de les soutenir- bien supérieures au budget alloué à l’organisation de ces élections . En sachant pertinemment que ces budgets alloués à l’organisation de ces élections devraient théoriquement garantir la transparence , l’équité et l’inclusivité des opérations électorales… Mais en sachant tout aussi pertinemment que les dérives et tripatouillages de certains ne seront pas contrôlables … Absurdité absolue.
Par ailleurs si, par le plus heureux des hasards et malgré le verrouillage violent du système par le clan aujourd’hui aux rênes du pays, pouvait émerger un nouveau pouvoir issu de ce scrutin uninominal à deux tours de novembre, qu’en serait-t-il en termes de stabilité politique et en termes de stabilisation de la situation socio-économique ? Le nouveau pouvoir en place pourra-t-il enfin mener les politiques inclusives dont on rêve pour le pays depuis 60 ans ? Ou bien ne risque-t-on pas, malgré un changement du casting du film, de voir rejouer la même comédie dramatique. On le voit donc, les élections, dans leurs modalités actuelles, ne résoudront probablement pas les problèmes de stabilité du pays et de son développement. Il est par ailleurs patent que ce constat d’inefficacité d’un scrutin qui ne change rien dans la vie des gens, constat établi par tout un chacun, a un résultat dramatique : la défection politique du citoyen. La faiblesse des taux de participation caractérise une forme d’illégitimité de la représentation issue des urnes.
D’autant que, invariablement, comme à chaque moment-charnière de l’histoire de Madagascar, la plus grande partie du personnel politique précédent se rallie au nouveau pouvoir. On l’a vu dans la constitution des différents partis à la tête du pays créés dans l’alignement au dirigeant élu, personnage symbolique « providentiel ». On l’a constaté pour le PSD, pour l’AREMA, le TIM, le HVM ou le TGV/IRD/MAPAR qui illustrent ces logiques d’alliances opportunes… « élections, piège à… » dit l’expression populaire. Ces élections, sous leur forme actuelle, ne changeront rien. La respectabilité, la légitimité après lesquelles courent les acteurs sont quand même bien compromises.
« La folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». On devrait faire notre cette citation prêtée à Albert Einstein. Le malgache est réputé résilient. Pour autant doit-il encore et toujours revivre le même système électoral, les mêmes élections, les mêmes campagnes, les mêmes exactions pour le même résultat : l’enfermement dans la même spirale de sous-développement ?
Si le problème se limitait donc à la seule question de la qualité de l’organisation du scrutin, on pourrait se contenter d’une mise en conformité aux 27 recommandations de la mission de l’UE de suivi électoral à Madagascar du mois de mai 2022. Un dispositif satisfaisant à ces préconisations devrait être plus transparent, plus inclusif.
L’exigence d’un processus à la transparence avérée veut laisser espérer une alternance du pouvoir que les oppositions essaient de réaliser par tous les moyens, toutes les initiatives, toutes les alliances et toutes les négociations.
Cette alternance pourrait assurer des pratiques de gouvernance plus à même de satisfaire les devoirs essentiels de l’Etat et en particulier le devoir d’assurer le développement socio-économique inclusif du pays et son corollaire : la préservation des Biens Communs.
L’accomplissement de ce devoir de l’État, relève de fait de la volonté et de la capacité des représentants élus à assumer réellement leurs responsabilités devant leurs concitoyens.
Se pose alors la question de leur représentativité. Si les élus portaient le choix véritable des électeurs, ne seraient-ils pas plus responsables et plus transparents devant leurs concitoyens ? Si les citoyens pouvaient assumer leurs choix et véritablement sanctionner par leur vote lesdits élus et assurer ainsi de véritables alternances, ces derniers n’endosseraient-ils pas mieux leurs responsabilités ? N’est-ce pas l’établissement d’une forme de représentativité plus proche des exigences d’une décentralisation véritable qui pourra résoudre la question de la meilleure gestion des Biens Communs ?
Le problème de la représentativité du peuple par les élus relève évidemment du dispositif électoral. La représentation politique issue du système actuel peut-elle être considérée comme véritablement désignée par le peuple ? Peut-on, tout simplement, affirmer sa légitimité ?
Si la réponse est non, pourquoi ne l’est-elle pas ? Est-ce parce que le système est vicié par la corruption et les tripatouillages? Ou bien le problème ne relève-t-il pas plus du choix des méthodes de vote (i.e vote uninominal, vote proportionnel, majoritaire, etc.) ou du système de représentation qui fixe comment les résultats électoraux se traduisent en sièges ou en position de pouvoir.
Quel est le système électif qui conférerait plus de légitimité à la représentation qui en serait issue ? Assurément, le système actuellement en place, hérité de la colonisation et calqué des systèmes occidentaux semble bien loin de la réalité de nos structures sociales.
Sur ce postulat de la nécessaire refonte du système électoral, de ses hiérarchies et de ses modalités, quel système mettre en place ? Et comment le mettre en place ?
On doit à Didier Galibert l’énoncé suivant « [à Madagascar] le groupe social fournissant le cadre cognitif à l’intérieur duquel se forgent les identités politiques se situe spontanément au niveau des catégories identitaires de base, non pas à l’échelle de la […] nation […] »
De fait, le citoyen malagasy ne se reconnaîtrait que difficilement dans un système de représentation nationale d’autant que la représentation EQUILIBREE des intérêts locaux et des intérêts nationaux n’est absolument pas assurée et que la rupture actuelle entre le citoyen et le pouvoir est dramatiquement avérée .
Mais cette catégorie identitaire politique de base évoquée supra, on la connaît : il s’agit évidemment du Fokonolona. Revaloriser le Fokonolona, remettre véritablement cette structure au centre de la vie politique du pays ne serait-il pas une voie à explorer sérieusement ?
Rendre électoralement redevables devant les Fokonolona TOUS les éléments de la hiérarchie des pouvoirs élus – de la Commune au Président en passant par les Conseils Régionaux, l’Assemblée et le Sénat – en redéfinissant la représentativité, et l’éligibilité des élus respectivement à chaque niveau, n’offrirait il pas une solution à ce problème de redevabilité des élus devant le peuple.
On aurait peut-être des chances de revaloriser le politique aux yeux des Malgaches et de favoriser le retour au sentiment et à la solidarité nationale… On aurait des chances de pallier à l’insincérité du scrutin … Et des chances de satisfaire une représentativité plus proche de la réalité culturelle du citoyen.
Il est temps de chercher de nouvelles voies qui puissent, dans l’impulsion de ce changement de législature, assurer une véritable représentation des électeurs et permettre de sortir de ce mortifère modèle de l’homme providentiel ?
Or la reconstruction politique du pays et le développement d’une vraie culture démocratique ne pourront s’établir de manière STABLE que si ce travail d’alignement d’un système à la fois sur nos valeurs et traditions, mais aussi sur la modernité est fait. Le politique doit s’aligner sur notre culture et non le contraire… Ce n’est pas le cas du système actuel strictement hérité du colonialisme.
Il est donc temps d’établir un vrai diagnostic sur la réalité de la représentativité issue des scrutins actuels, au-delà des modalités d’exécution, au-delà de la transparence et de l’inclusivité exigées. Il est temps d’établir un vrai débat politique pour fixer la vision sur ce que doit être la préservation des Biens Communs et sur ses modalités ? Il est temps d’envisager de mettre en place de nouvelles modalités et hiérarchies électives.
Mais comment mener ce débat, ce diagnostic et mettre en place ces nouvelles modalités? Comment mettre en place un nouveau mode de scrutin ? La notion même de transition étant un mot qui fâche parce que, on le sait, une transition n’aboutira qu’à un éternel recommencement si on en reste aux logiques de représentativité en place….
La question du COMMENT reste donc posée. Certains semblent commencer à dessiner des pistes de réponses.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – Juin 2023